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mettre en rapport avec des militants de cette région. C’est ainsi qu’un soir d’octobre elle vint chez nous pour y rencontrer Thévenon, alors membre du conseil d’administration de la Bourse du Travail à Saint-Étienne, secrétaire-adjoint de l’Union départementale confédérée de la Loire, qui s’efforçait de regrouper la minorité syndicaliste et de ramener à la C. G. T. la Fédération régionale des mineurs, alors minoritaire dans la C. G. T. U. et dont le secrétaire Pierre Arnaud venait d’être chassé du parti communiste.

Par Thévenon, Simone se trouva du même coup plongée en plein milieu ouvrier et en pleine bagarre syndicale. Elle ne demandait que cela. Chaque semaine, elle fit au moins une fois le voyage du Puy à Saint-Étienne et deux ans après de Roanne à Saint-Étienne, pour participer à un cercle d’études organisé à la Bourse du Travail, assister à des réunions ou à des manifestations.



Son extraordinaire intelligence et sa culture philosophique lui permirent une connaissance rapide et approfondie des grands théoriciens socialistes, en particulier de Marx. Mais cette connaissance théorique de l’exploitation capitaliste et de la condition ouvrière ne la satisfaisait pas. Elle croyait utile de pénétrer dans la vie de tous les jours des travailleurs.

Au syndicat des mineurs, Pierre Arnaud représentait un beau type de prolétaire. Bien que permanent, il avait gardé toutes ses habitudes de mineur : son langage, ses vêtements et surtout sa conscience de classe. Il était un mineur et ne cherchait pas à passer pour rien d’autre. Simone l’estima, appréciant sa fierté, sa droiture et son désintéressement. Autour de lui gravitaient des hommes habitués à se heurter durement à la vie, dont quelques-uns avaient servi dans les bataillons disciplinaires. Simone essaya de s’intégrer à eux. Ce n’était pas facile. Elle les fréquenta, s’installant avec eux à la table d’un bistrot pour y casser la croûte ou jouer à la belote, les suivit au cinéma, dans les fêtes populaires, leur demanda de l’emmener chez eux à l’improviste, sans que leurs femmes fussent prévenues. Ils étaient un peu surpris par l’attitude de cette jeune fille si instruite qui s’habillait plus simplement que leurs femmes et dont les préoccupations leur semblaient extraordinaires. Cependant elle leur était sympathique, et c’est toujours avec amitié qu’ils revoyaient « la Ponote[1] ». Ils ne l’ont pas oubliée. L’un d’entre eux, homme simple s’il en fut, lui garde une fidèle affection ; un autre, rencontré il y a peu de temps, exprima ainsi ses regrets en

  1. Ponots et Ponotes, noms donnés aux habitants du Puy.