Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/165

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de mes semblables, quel qu’il soit, ce que je juge moralement intolérable pour moi-même ; si différents que soient les hommes, mon sentiment de la dignité humaine reste identiquement le même, qu’il s’agisse de moi ou de n’importe quel homme, même si entre lui et moi on peut établir à d’autres égards des rapports de supériorité ou d’infériorité. Sur ce point, jamais rien au monde ne me fera varier, du moins je l’espère. Pour tout le reste, je ne demande qu’à me débarrasser de toutes les idées préconçues susceptibles de fausser mon jugement.

Une de vos phrases m’a fait longtemps rêver ; c’est celle où vous parlez de contacts plus intimes entre l’usine et moi qui pourraient peut-être être organisés un jour. Avez-vous quelque chose de concret dans l’esprit, en vous exprimant de la sorte ? Si oui, j’espère que vous m’en ferez part. Je me demande si vous désirez seulement, par pure générosité à mon égard, me donner des moyens de m’instruire, de compléter, préciser et rectifier mes vues trop sommaires et sans doute partiellement fausses sur l’organisation industrielle ; ou bien si vous pensez que je pourrais être éventuellement capable de me rendre utile, autrement que de la manière que je vous avais suggérée. Pour moi, je n’ai jusqu’à ce jour aucune raison d’avoir confiance dans mes propres capacités ; mais si vous aviez dans l’esprit une manière quelconque de les mettre à l’épreuve, dans l’intérêt de la population ouvrière, sur la base de quelques idées sur lesquelles, en dépit des divergences, nous serions au préalable arrivés à nous mettre d’accord, cela mériterait réflexion de ma part.

Nous parlerons de tout cela et de bien d’autres choses jeudi, si vous le voulez bien. Si vendredi vous convient mieux, vous n’avez qu’à m’en avertir et je m’y conformerai.

Bien cordialement.

S. Weil.




Monsieur[1],

Il ne m’est pas encore possible de vous fixer une date. Mais, en attendant, j’ai été si touchée de la générosité dont vous faites preuve à mon égard — en me recevant, en répondant à mes questions, en m’ouvrant votre usine comme vous faites, que j’ai résolu de vous faire de la copie, de

  1. Non datée (avril-mai 1936 ?).