Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/216

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans les usines un régime de travail tel que tout progrès moral de la classe ouvrière devait inévitablement troubler la production, ils en portent l’entière responsabilité ; et c’est même là la meilleure marque du mal qu’ils ont fait au temps où ils étaient les maîtres.

Cependant la C. G. T., si elle n’est pas responsable du passé, est responsable de l’avenir en raison de la puissance qu’elle a acquise. Il se pose devant l’industrie française un problème qui n’est pas particulier à un département, à une corporation, mais qui se retrouve partout à des degrés différents. Ce problème, les patrons sont incapables de le résoudre, parce qu’ils ne sont même pas parvenus à en comprendre les données. La C. G. T. a là une occasion unique de montrer sa capacité en s’attaquant à ce problème dans son ensemble, sur le plan national ; il y a même probablement nécessité vitale pour notre mouvement ouvrier à parvenir à une solution.

Avant juin, il y avait dans les usines un certain ordre, une certaine discipline, qui étaient fondés sur l’esclavage. L’esclavage a disparu dans une large mesure ; l’ordre lié à l’esclavage a disparu du même coup. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Mais l’industrie ne peut pas vivre sans ordre. La question se pose donc d’un ordre nouveau, compatible avec les libertés nouvellement acquises, avec le sentiment renouvelé de la dignité ouvrière et de la camaraderie. La situation actuelle, qui reproduit exactement l’organisation périmée du travail avec les sanctions en moins, est instable et par suite grosse de conflits possibles. D’un côté les patrons, se sentant privés d’action sur leurs propres usines du fait qu’ils n’osent plus guère prendre de sanctions, cherchent par tous les moyens à reprendre des morceaux de l’autorité perdue et s’exaspèrent s’ils n’y arrivent pas ; d’autre part les ouvriers sont maintenus par ces tentatives dans une alerte continuelle et une sourde effervescence. Au reste l’absence de sanctions ne peut pas se perpétuer sans un danger grave et réel pour la production ; et il n’est même pas de l’intérêt moral de la classe ouvrière que les ouvriers se sentent irresponsables dans l’accomplissement du travail. Il faut donc obtenir une discipline, un ordre, des sanctions qui ne rétablissent pas l’arbitraire patronal d’avant juin.

La C. G. T. peut s’appuyer d’une part sur l’autorité morale qu’elle possède auprès des ouvriers, d’autre part sur le fait que dans les circonstances actuelles il y a dans une