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LA RATIONALISATION[1]
(23 février 1937)



Le mot de « rationalisation » est assez vague. Il désigne certaines méthodes d’organisation industrielle, plus ou moins rationnelles d’ailleurs, qui règnent actuellement dans les usines, sous diverses formes. Il y a, en effet, plusieurs méthodes de rationalisation, et chaque chef d’entreprise les applique à sa manière. Mais elles ont toutes des points communs et se réclament toutes de la science, en ce sens que les méthodes de rationalisation sont présentées comme des méthodes d’organisation scientifique du travail.

La science n’a été, au début, que l’étude des lois de la nature. Elle est intervenue ensuite dans la production par l’invention et la mise au point des machines et par la découverte de procédés permettant d’utiliser les forces naturelles. Enfin, à notre époque, vers la fin du siècle dernier, on a songé à appliquer la science, non plus seulement à l’utilisation des forces de la nature, mais à l’utilisation de la force humaine de travail. C’est quelque chose de tout à fait nouveau, dont nous commençons à apercevoir les effets.

On parle souvent de la révolution industrielle pour désigner justement la transformation qui s’est produite dans l’industrie lorsque la science s’est appliquée à la production et qu’est apparue la grosse industrie. Mais on peut dire qu’il y a eu une deuxième révolution industrielle. La première se définit par l’utilisation scientifique de la matière inerte et des forces de la nature. La deuxième se définit par l’utilisation scientifique de la matière vivante, c’est-à-dire des hommes.

La rationalisation apparaît comme un perfectionnement de la production. Mais si on considère la rationalisation du seul point de vue de la production, elle se range parmi

  1. Simone Weil a fait le 23 février 1937, devant un auditoire ouvrier, une conférence dont nous n’avons pas de manuscrit original mais seulement ce texte partiel recueilli par un auditeur.