Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/231

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une organisation du travail telle qu’il sorte chaque soir des usines à la fois le plus grand nombre possible de produits bien faits et des travailleurs heureux. Si, par un hasard providentiel, on pouvait trouver une telle méthode de travail, assez parfaite pour rendre le travail joyeux, la question ne se poserait plus. Mais cette méthode n’existe pas, et c’est même tout le contraire qui se passe. Et si une telle solution n’est pas pratiquement réalisable, c’est justement parce que les besoins de la production et les besoins des producteurs ne coïncident pas forcément. Ce serait trop beau si les procédés de travail les plus productifs étaient en même temps les plus agréables. Mais on peut tout au moins s’approcher d’une telle solution en cherchant des méthodes qui concilient le plus possible les intérêts de l’entreprise et les droits des travailleurs. On peut poser en principe qu’on peut résoudre leur contradiction par un compromis en trouvant un moyen terme, tel que ne soient pas entièrement sacrifiés ni les uns ni les autres ; ni les intérêts de la production ni ceux des producteurs. Une usine doit être organisée de manière que la matière première qu’elle utilise ressorte en produits qui ne soient ni trop rares, ni trop coûteux, ni défectueux, et qu’en même temps les hommes qui y entrent un matin n’en sortent pas diminués physiquement ni moralement le soir, au bout d’un jour, d’un an ou de vingt ans.

C’est là le véritable problème, le problème le plus grave qui se pose à la classe ouvrière : trouver une méthode d’organisation du travail qui soit acceptable à la fois pour la production, pour le travail et pour la consommation.

Ce problème, on n’a même pas commencé à le résoudre, puisqu’il n’a pas été posé ; de sorte que si demain nous nous emparions des usines, nous ne saurions quoi en faire et nous serions forcés de les organiser comme elles le sont actuellement, après un temps de flottement plus ou moins long.

Je n’ai pas moi-même de solution à vous présenter. Ce n’est pas là quelque chose qu’on puisse improviser de toutes pièces sur le papier. C’est dans les usines seulement qu’on peut arriver peu à peu à imaginer un système de ce genre et à le mettre à l’épreuve, exactement comme les patrons et les chefs d’entreprises, les techniciens, sont arrivés peu à peu à concevoir et à mettre au point le système actuel. Pour comprendre comment se pose le problème, il faut avoir étudié le système qui existe, l’avoir