Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/232

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analysé, en avoir fait la critique, avoir apprécié en quoi il est bon ou mauvais, et pourquoi. Il faut partir du régime actuel pour en concevoir un meilleur.

Je vais donc essayer d’analyser ce régime (que vous connaissez mieux que qui que ce soit) en me référant à la fois à son histoire, aux ouvrages de ceux qui ont contribué à l’élaborer, et à la vie quotidienne des usines dans la période qui a précédé le mouvement de juin 1936.


Pour caractériser le régime actuel de l’industrie et les changements introduits dans l’organisation du travail, on parle à peu près indifféremment de rationalisation ou de taylorisation. Le mot de rationalisation a plus de prestige auprès du public parce qu’il semble indiquer que l’organisation actuelle du travail est celle qui satisfait toutes les exigences de la raison, une organisation rationnelle du travail devant nécessairement répondre à l’intérêt de l’ouvrier, du patron et du consommateur. Il semble vraiment que personne ne puisse s’élever là-contre. Le pouvoir des mots est très grand, et on s’est beaucoup servi de celui-là ; de même que de l’expression « organisation scientifique du travail » parce que le mot « scientifique » a encore plus de prestige que le mot « rationnel ».

Quand on parle de taylorisation, on indique l’origine du système parce que c’est Taylor qui en a trouvé l’essentiel, qui a donné l’impulsion et marqué l’orientation de cette méthode de travail. De sorte que pour en connaître l’esprit, il faut nécessairement se référer à Taylor. C’est facile puisqu’il a écrit lui-même un certain nombre d’ouvrages sur ce sujet en faisant sa propre biographie.

L’histoire des recherches de Taylor est très curieuse et très instructive. Elle permet de voir de quelle manière s’est orienté ce système à son début. Elle permet même, mieux que tout autre chose, de comprendre ce qu’est, au fond, la rationalisation elle-même.

Quoique Taylor ait baptisé son système « Organisation scientifique du travail », ce n’était pas un savant. Sa culture correspondait peut-être au baccalauréat, et encore ce n’est pas sûr. Il n’avait jamais fait d’études d’ingénieur. Ce n’était pas non plus un ouvrier à proprement parler, quoiqu’il ait travaillé en usine. Comment donc le définir ? C’était un contremaître, mais non pas de l’espèce de ceux qui sont venus de la classe ouvrière et qui en ont gardé le souvenir. C’était un contremaître du genre de ceux