Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/239

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Mais l’intensité du travail peut varier. Pensez, par exemple, à la course à pied et rappelez-vous le coureur de Marathon tombé mort en arrivant au but pour avoir couru trop vite. On peut considérer cela comme une intensité-limite de l’effort. Il en est de même dans le travail. La mort, évidemment, c’est l’extrême limite à ne pas atteindre, mais tant qu’on n’est pas mort au bout d’une heure de travail, c’est, aux yeux des patrons, qu’on pouvait travailler encore plus. C’est ainsi également qu’on bat tous les jours de nouveaux records sans que personne ait l’idée que la limite soit encore atteinte. On attend toujours le coureur qui battra le dernier record. Mais si on inventait une méthode de travail qui fasse mourir les ouvriers au bout de cinq ans, par exemple, les patrons manqueraient très vite de main-d’œuvre et cela irait contre leurs intérêts. Ils ne s’en apercevraient pas tout de suite, parce qu’il n’existe aucun moyen scientifique de mesurer l’usure de l’organisme humain par le travail ; mais peut-être qu’à la génération suivante, ils s’en apercevraient et reviseraient leurs méthodes, exactement comme on s’est rendu compte des milliers de morts prématurées provoquées par le travail des enfants dans les usines.

Il peut arriver la même chose pour les adultes avec l’intensité du travail. Il y a seulement un an, dans les usines de mécanique de la région parisienne, un homme de quarante ans ne pouvait plus trouver d’embauche, parce qu’on le considérait comme déjà usé, vidé, et impropre pour la production à la cadence actuelle.

Il n’y a donc aucune limite à l’augmentation de la production en intensité. Taylor raconte avec orgueil qu’il est arrivé à doubler et même tripler la production dans certaines usines simplement par le système des primes, la surveillance des ouvriers et le renvoi impitoyable de ceux qui ne voulaient pas ou ne pouvaient pas suivre la cadence. Il explique qu’il est parvenu à trouver le moyen idéal pour supprimer la lutte des classes, parce que son système repose sur un intérêt commun de l’ouvrier et du patron, tous les deux gagnant davantage avec ce système, et le consommateur lui-même se trouvant satisfait parce que les produits sont meilleur marché. Il se vantait de résoudre ainsi tous les conflits sociaux et d’avoir créé l’harmonie sociale.

Mais prenons l’exemple d’une usine dont Taylor ait doublé la production sans changer les méthodes de fabri-