Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/249

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mondiale, mais le B. I. T., il faut le reconnaître, n’a pas réussi brillamment.

À première vue, on pourrait supposer que lorsqu’un pays a réalisé des progrès sociaux qui le compromettent dans la lutte économique, toutes les classes sociales de ce pays doivent, ne serait-ce que par intérêt, unir leurs efforts pour donner aux réformes accomplies la plus grande extension possible en dehors des frontières. Il n’en est pour tant pas ainsi. Les feuilles les plus respectables de chez nous, généralement considérées comme les porte-paroles de la haute bourgeoisie, répètent à satiété que la réforme des quarante heures sera admirable si elle devient internationale, ruineuse si elle reste seulement française ; cela n’a pas empêché, sauf erreur, certains de nos représentants patronaux à Genève de voter contre les quarante heures.

Pareilles choses n’auraient pas lieu si les hommes n’étaient menés que par l’intérêt ; mais à côté de l’intérêt, il y a l’orgueil. Il est doux d’avoir des inférieurs ; il est pénible de voir des inférieurs acquérir des droits, même limités, qui établissent entre eux et leurs supérieurs, à certains égards, une certaine égalité. On aimerait mieux leur accorder les mêmes avantages, mais à titre de faveur ; on aimerait mieux, surtout, parler de les accorder. S’ils ont enfin acquis des droits, on préfère que la pression économique de l’étranger vienne les miner, non sans dégâts de toutes sortes, plutôt que d’en obtenir l’extension hors des frontières. Le souci le plus pressant de beaucoup d’hommes situés plus ou moins haut sur l’échelle sociale est de maintenir leurs inférieurs « à leur place ». Non sans raison après tout ; car s’ils quittent une fois « leur place », qui sait jusqu’où ils iront ?

L’internationalisme ouvrier devrait être plus efficace ; malheureusement on ne se tromperait pas de beaucoup en le comparant à la jument de Roland, qui avait toutes les qualités sauf celle d’exister. Même l’Internationale socialiste d’avant-guerre était surtout une façade, et la guerre l’a bien montré. À plus forte raison n’y a-t-il jamais eu, dans l’Internationale syndicale, si cruellement mutilée aujourd’hui du fait des États dictatoriaux, ni action concertée, ni même contact permanent entre les différents mouvements nationaux. Sans doute, dans les grands moments, l’enthousiasme déborde les frontières ; on a pu le constater en ce mois épique de juin 1936, et on a vu l’occupation