Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/250

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des usines non seulement s’essayer en Belgique, mais encore enjamber l’océan et trouver aux États-Unis une extension inattendue. Sans doute aussi on a vu parfois une grande lutte ouvrière partiellement alimentée par des souscriptions venues de l’étranger. Néanmoins il n’y a pas de stratégie concertée, les états-majors n’unissent pas leurs armes et ne mettent pas d’unité dans leurs revendications ; on constate souvent même une ignorance surprenante à l’égard de ce qui se passe hors du territoire national. L’internationalisme ouvrier est jusqu’ici plus verbal que pratique.

Quant au gouvernement, son action serait décisive en cette matière, s’il agissait. Car un certain nivellement dans les conditions d’existence des ouvriers des différents pays — nivellement vers le haut, si l’on peut ainsi parler — ne peut guère être conçu que comme un élément dans ce fameux règlement général des problèmes économiques mondiaux que chacun reconnaît comme indispensable à la paix et à la prospérité, mais qu’on n’aborde jamais. Réciproquement, l’action ouvrière sera, par un triste paradoxe, et malgré les doctrines internationales, un obstacle à la détente des rapports internationaux aussi longtemps qu’on se laissera vivre dans la déplorable incurie actuelle.

C’est ainsi que les ouvriers français redouteront toujours de voir pénétrer en France les travailleurs des pays surpeuplés aussi longtemps que les étrangers y seront légalement abaissés à une situation de parias, privés de toute espèce de droits, impuissants à participer à la moindre action syndicale sans risquer la mort lente par la misère, expulsables à merci. Le progrès social dans un pays a comme conséquence paradoxale la tendance à fermer les frontières aux produits et aux hommes. Si les pays de dictature se replient sur eux-mêmes par obsession guerrière, et si les pays les plus démocratiques les imitent, non seulement parce qu’ils sont contaminés par cette obsession, mais aussi du fait même des progrès accomplis par eux, que pouvons-nous espérer ?

Toutes les considérations d’ordre national et international, économique et politique, technique et humanitaire, se joignent pour conseiller de chercher à agir. D’autant que les réformes accomplies en juin 1936, et qui, s’il faut en croire certains, mettent notre économie en péril, ne sont qu’une petite partie des réformes immédiatement souhaitables. Car la France n’est pas seulement une nation ;