Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/60

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qui ne sont pas costauds peuvent éviter de tomber dans une forme quelconque de désespoir — soûlerie, ou vagabondage, ou crime, ou débauche, ou simplement, et bien plus souvent, abrutissement — (et la religion ?).

La révolte est impossible, sauf par éclairs (je veux dire même à titre de sentiment). D’abord, contre quoi ? On est seul avec son travail, on ne pourrait se révolter que contre lui — or travailler avec irritation, ce serait mal travailler, donc crever de faim. Cf. l’ouvrière tuberculeuse renvoyée pour avoir loupé une commande. On est comme les chevaux qui se blessent eux-mêmes dès qu’ils tirent sur le mors — et on se courbe. On perd même conscience de cette situation, on la subit, c’est tout. Tout réveil de la pensée est alors douloureux.


La jalousie entre ouvriers. La conversation entre le grand blond avantageux et Mimi, accusée de s’être dépêchée afin d’arriver à point pour la « bonne commande ». — Mimi à moi : « Vous n’êtes pas jalouse, vous avez tort. » Elle dit pourtant ne pas l’être — mais peut-être l’est-elle quand même.

Cf. incident avec la rouquine, mardi soir. Réclame un travail qu’Ilion est en train de me donner, comme s’étant arrêtée avant moi (mais elle a une commande en train, seulement interrompue ; elle ne le dit à Ilion que quand je me suis éloignée…). Le boulot est mauvais (0,56 %, pièces à mettre à une butée si plate qu’il est presque impossible de voir si elle y est bien) ; cependant je dois faire un effort sur moi-même pour le lui céder, car j’ai entre une heure et trois heures de retard. Mais sûrement, quand elle a vu que le boulot était mauvais, elle a pensé que c’était là la raison pour laquelle je le lui avais cédé.

La même rouquine, au temps des mises à pied, ne tenait pas du tout à ce qu’on en exempte celles seules et avec gosses.

Je ne trouve rien d’autre. Robert me refuse un travail parce que, dit-il, je louperais la moitié. Je vais donc simplement causer avec le magasinier, bien contente en un sens, car je suis à bout.

Le mardi soir de la 7e semaine (15 janvier) Baldenweck me diagnostique une otite. Je me transporte jeudi rue Auguste-Comte où je reste la 8e et la 9e semaine. 10e, 11e, 12e j. jusqu’à vendredi à Montana, en Suisse, où je vois le frère de A. L. et Fehling. Je rentre rue Lecourbe