Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/92

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passion ? » Embarrassée, je réponds : « La lecture. » Et lui : « Oui, je vois ça. Pas des romans. Plutôt philosophique, n’est-ce pas ? » On parle alors de Zola, de Jack London.

Tous deux, de toute évidence, ont des tendances révolutionnaires (mot très impropre — non, plutôt ils ont une conscience de classe, et un esprit d’hommes libres). Mais quand il s’agit de défense nationale, on ne s’entend plus. D’ailleurs je n’insiste pas.

Camaraderie totale. Pour la 1re fois de ma vie, en somme. Aucune barrière, ni dans la différence des classes (puisqu’elle est supprimée), ni dans la différence des sexes. Miraculeux.



Dimanche de Pâques.


En revenant d’une église où j’avais espéré (sottement) entendre du chant grégorien, je tombe sur une petite exposition où on aperçoit un métier de Jacquart en marche. Moi qui l’avais si passionnément, si vainement contemplé au Cons. des Arts et Métiers, je m’empresse de descendre. Explications de l’ouvrier, qui voit que je m’intéresse (en sortant, 2 tournées Claquesin… je l’intrigue beaucoup !). Il fait tout : carton (d’après dessin du carton, non de l’étoffe — il saurait, dit-il, trouver lui-même le dessin du carton (?) et, aussi, lire sur le carton le dessin de l’étoffe (?) ; cependant, quand je lui demande s’il saurait lire sur le carton des lettres à tisser dans l’étoffe, il dit — et encore avec hésitation que oui, mais pas couramment). Montage de la machine (ce qui signifie disposer tous les fils, sans erreur — travail excessivement minutieux) — et tissage, accompli en lançant la navette et en pédalant ; pédale lourde à cause de toutes les aiguilles et tous les fils soulevés, mais il dit n’être jamais fatigué. J’ai enfin compris — à peu près — le rapport du carton, des aiguilles et du fil. Il y a, dit-il, un métier Jacquard dans chaque tissage, pour les échantillons ; mais il pense que ça va disparaître. Excessivement fier de son savoir…