Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/111

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Tout ce qui est sans valeur fuit la lumière. Ici-bas, on peut se cacher sous la chair. À la mort on ne peut plus. On est livré nu à la lumière. C’est là, selon les cas, enfer, purgatoire ou paradis.

Ce qui fait qu’on recule devant les efforts qui rapprocheraient du bien, c’est la répugnance de la chair, mais non pas la répugnance de la chair devant l’effort. C’est la répugnance de la chair devant le bien. Car pour une cause mauvaise, si le stimulant est assez fort, la chair acceptera n’importe quoi, sachant qu’elle le peut sans mourir. La mort même, subie pour une cause mauvaise, n’est pas vraiment la mort pour la partie charnelle de l’âme. Ce qui est mortel pour la partie charnelle de l’âme, c’est de voir Dieu face à face.

C’est pourquoi nous fuyons le vide intérieur parce que Dieu pourrait s’y glisser.

Ce n’est pas la recherche du plaisir et l’aversion de l’effort qui produisent le péché, mais la peur de Dieu. On sait qu’on ne peut pas le voir face à face sans mourir, et on ne veut pas mourir. On sait que le péché nous préserve très efficacement de le voir face à face : le plaisir et la douleur nous procurent seulement la légère impulsion indispensable vers le péché, et surtout le prétexte, l’alibi encore plus indispensables. Comme il faut des prétextes pour les guerres injustes, il faut des faux biens pour le péché, car on ne peut soutenir la pensée qu’on va vers le mal. La chair n’est pas ce qui nous éloigne de Dieu, elle est le voile que nous mettons devant nous pour faire écran entre Dieu et nous.