Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/110

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La durée, soit les siècles pour les civilisations, à soit les années, et dizaines d’années pour l’individu, a une fonction darwinienne d’élimination de l’inapte. Ce qui est apte à tout est éternel. C’est en cela seul que réside le prix de ce qu’on nomme l’expérience. Mais le mensonge est une armure par laquelle l’homme permet souvent à l’inapte en lui-même de survivre aux événements qui, sans cette armure, le tueraient (ainsi à l’orgueil de survivre aux humiliations), et cette armure est comme sécrétée par l’inapte pour parer au danger (l’orgueil, dans l’humiliation, épaissit le mensonge intérieur). Il y a dans l’âme comme une phagocytose ; tout ce qui est menacé par le temps sécrète du mensonge pour ne pas mourir, et à proportion du danger de mort. C’est pourquoi il n’y a pas d’amour de la vérité sans un consentement sans réserve à la mort. La croix du Christ est la seule porte de la connaissance.

Regarder chaque péché que j’ai commis comme une faveur de Dieu. C’est une faveur que l’imperfection essentielle qui est dissimulée au fond de moi se soit en partie manifestée à mes yeux tel jour, à telle heure, dans telle circonstance. Je désire, je supplie que mon imperfection se manifeste tout entière à mes yeux, autant que le regard de la pensée humaine en est capable. Non pas pour qu’elle guérisse, mais, même quand elle ne devrait pas guérir, pour que je sois dans la vérité.