Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/122

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il n’y aurait pas d’opposition entre la solitude intérieure et l’amitié, au contraire. C’est même à ce signe infaillible que tu la reconnaîtras. Les autres affections doivent être disciplinées sévèrement.

Les mêmes mots (ex. un homme dit à sa femme : je vous aime) peuvent être vulgaires ou extraordinaires selon la manière dont ils sont prononcés. Et cette manière dépend de la profondeur de la région de l’être d’où ils procèdent, sans que la volonté y puisse rien. Et, par un accord merveilleux, ils vont toucher, chez celui qui écoute, la même région. Ainsi celui qui écoute peut discerner, s’il a du discernement, ce que valent ces paroles.

Le bienfait est permis précisément parce qu’il constitue une humiliation plus grande encore que la douleur, une épreuve encore plus intime et plus irrécusable de dépendance. Et la reconnaissance est prescrite pour cette raison parce que c’est là l’usage à faire du bienfait reçu. Mais ce doit être la dépendance à l’égard du sort et non d’un être humain déterminé. C’est pourquoi le bienfaiteur a l’obligation d’être entièrement absent du bienfait. Et la reconnaissance ne doit à aucun degré constituer un attachement car c’est là la reconnaissance des chiens.

La reconnaissance est d’abord le fait de celui qui secourt, si le secours est pur. Elle n’est due par l’obligé qu’à titre de réciprocité.