Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/128

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Le péché que nous avons en nous sort de nous et se propage au dehors, en exerçant une contagion sous forme de péché. Ainsi, quand nous sommes irrités, notre entourage s’irrite. Ou encore, de supérieur à inférieur : la colère suscite la peur. Mais au contact d’un être parfaitement pur, il y a transmutation, et le péché devient souffrance. Telle est la fonction du juste d’Isaïe, de l’agneau de Dieu. Telle est la souffrance rédemptrice. Toute la violence criminelle de l’Empire romain s’est heurtée au Christ, et, en lui, est devenue pure souffrance. Les êtres mauvais au contraire transforment la simple souffrance (par exemple la maladie) en péché.

Il s’ensuit peut-être que la douleur rédemptrice doit être d’origine sociale. Elle doit être injustice, violence exercée par des êtres humains.

Le faux Dieu change la souffrance en violence. Le vrai Dieu change la violence en souffrance.

La souffrance expiatrice est le choc en retour du mal qu’on fait. Et la souffrance rédemptrice est l’ombre du bien pur qu’on désire.

L’acte méchant est un transfert sur autrui de la dégradation qu’on porte en soi. C’est pourquoi on y incline comme vers une délivrance.