Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/140

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continuerait. L’élan naturel de la pensée vers l’avenir est arrêté, l’être est déchiré dans son sentiment du temps. « Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous ? »

L’être qui ne peut supporter de penser ni au passé ni à l’avenir : il est abaissé jusqu’à la matière. Russes blancs de chez Renault. On peut ainsi apprendre à obéir comme la matière, mais sans doute se fabriquaient-ils des passés et des avenirs proches et mensongers.

Morcellement du temps pour les criminels et les prostituées ; il en est de même des esclaves. C’est donc un caractère du malheur.

Le temps fait violence ; c’est la seule violence. Un autre te ceindra et te mènera où tu ne veux pas aller ; le temps mène où l’on ne veut pas aller. Qu’on me condamne à mort, on ne m’exécutera pas si, dans l’intervalle, le temps s’arrête. Quoi qu’il puisse arriver d’affreux, peut-on désirer que le temps s’arrête, que les étoiles s’arrêtent ? La violence du temps déchire l’âme : par la déchirure entre l’éternité.

Tous les problèmes se ramènent au temps.

Douleur extrême : temps non orienté : voie de l’enfer ou du paradis. Perpétuité ou éternité.