Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/189

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ment, dans l’opération du dressage de l’animal en soi.

Bien entendu, il faut pour que cette violence sur soi serve vraiment au dressage, qu’elle ne soit qu’un simple moyen. Quand on dresse un chien pour en faire un chien savant, on ne le fouette pas pour le fouetter, mais pour le dresser et, à cet effet, on le frappe seulement quand il manque un exercice. Si on le fouette sans méthode, on finit par le rendre impropre à tout dressage, et c’est ce que produit le mauvais ascétisme.

Les violences sur soi ne sont permises que lorsqu’elles procèdent de la raison (en vue d’exécuter ce qu’on se représente clairement comme le devoir) — ou bien lorsqu’elles sont imposées par une impulsion irrésistible de la grâce (mais alors ce n’est pas de soi que procède la violence).

La source de mes difficultés est que par épuisement, par absence d’énergie vitale, je suis au-dessous du niveau de l’activité normale. Et si quelque chose me prend et me soulève, je suis au-dessus. Alors il me semblerait malheureux de gaspiller ce temps en activités ordinaires. Dans les autres moments, j’aurais à me faire une violence que je ne parviens pas à tirer de moi.

Je pourrais accepter l’anomalie de comportement qui en résulte. Mais je sais, je crois savoir que je ne dois pas. Elle comporte des crimes d’omission envers autrui. Et moi, elle m’emprisonne.

Quelle méthode alors ?

ἐὰν θέλῃς δὺνασαι μὲ καθαρίσαι. [1]

  1. « Si tu veux, tu peux me rendre pur. » (Texte évangélique.)