Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je dois m’exercer à transformer le sentiment d’effort en sentiment passif de souffrance. Quoique j’en aie, quand Dieu m’envoie la souffrance, je suis bien forcée de souffrir tout ce qu’il y a à souffrir. Pourquoi, en face du devoir, ne pas faire de la même manière tout ce qu’il y a à faire ?

Montagnes, rochers, tombez sur nous et cachez-nous loin de la colère de l’agneau.

Je mérite en ce moment cette colère.

Ne pas oublier que d’après saint Jean de la Croix les inspirations qui détournent de l’accomplissement des obligations faciles et basses viennent du mauvais côté.

Le devoir nous est donné pour tuer le moi. Et je laisse rouiller un instrument si précieux.

Il faut accomplir son devoir au moment prescrit pour croire à la réalité du monde extérieur.

Il faut croire à la réalité du temps. Autrement on rêve.

Il y a des années que j’ai reconnu cette tare en moi, que j’en ai reconnu l’importance et que je n’ai rien fait pour l’abolir. Quelle excuse pourrais-je trouver ?

Ne s’est-elle pas accrue en moi depuis l’âge de dix ans ? Mais si grande qu’elle soit, elle est finie. Cela suffit. Si elle est grande au point de m’ôter la possibilité de l’effacer pendant cette vie et par suite de parvenir à l’état de perfection, cela doit être accepté comme tout ce qui est, d’une acceptation accompagnée d’amour. Il suffit que je sache qu’elle est, qu’elle est mauvaise, qu’elle est finie. Mais savoir effectivement chacune de ces trois choses et les trois ensemble implique le commencement et la continuation ininterrompue du processus de l’effacement. Si ce processus ne com-