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On lit, mais aussi on est lu par autrui. Interférences de ces lectures. Forcer quelqu’un à se lire soi-même comme on le lit (esclavage). Forcer les autres à vous lire comme on se lit soi-même (conquête). Mécanisme. Le plus souvent, dialogue de sourds.

La charité et l’injustice ne se définissent que par des lectures — et ainsi échappent à toute définition. Le miracle du bon larron fut, non pas qu’il pensât à Dieu, mais qu’il reconnût Dieu dans son voisin. Pierre avant le chant du coq ne reconnaissait plus Dieu dans le Christ.

D’autres se font tuer pour de faux prophètes ou, à tort, ils lisent Dieu.

Qui peut se flatter qu’il lira juste ?

On peut être injuste par volonté d’offenser la justice ou par mauvaise lecture de la justice. Mais c’est presque toujours le second cas.

Quel amour de la justice garantit d’une mauvaise lecture ?

Quelle est la différence entre le juste et l’injuste si tous se conduisent toujours conformément à la justice qu’ils lisent ?

Jeanne d’Arc : ceux qui déclament à son sujet aujourd’hui l’auraient presque tous condamnée. Mais ses juges n’ont pas condamné la sainte, la vierge, etc., mais la sorcière, l’hérétique, etc.[1]

  1. Cf. les textes de l’Évangile concernant les auteurs de « lectures » erronées : « Pardonnez-leur, mon Père, car ils ne savent pas ce qu’ils font… L’heure vient où quiconque vous fera mourir croira rendre hommage à Dieu » (Note de l’Éditeur).