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Le service du faux Dieu (de la Bête sociale sous quelque incarnation que ce soit) purifie le mal en éliminant l’horreur. À qui le sert, rien ne paraît mal, sauf les défaillances dans le service. Mais le service du vrai Dieu laisse subsister et même rend plus intense l’horreur du mal. Ce mal dont on a horreur, en même temps on l’aime comme émanant de la volonté de Dieu.

Ceux qui aujourd’hui croient que l’un des adversaires est du côté du bien croient aussi qu’il aura la victoire[1].

Regarder un bien, aimé comme tel, comme condamné par le cours prochain des événements est une douleur intolérable.

L’idée que ce qui n’existe plus du tout puisse être un bien est pénible et on l’écarte. C’est là soumission au gros animal.

La force d’âme des communistes vient de ce qu’ils se portent, non seulement vers ce qu’ils croient être le bien, mais vers ce qu’ils croient qui va inéluctablement et prochainement se produire. Ainsi, ils peuvent, sans être des saints — il s’en faut de beaucoup — supporter des dangers et des souffrances que seul un saint supporterait pour la justice toute seule.

À certains égards, l’état d’esprit des communistes est très analogue à celui des premiers chrétiens.

Cette propagande eschatologique explique très bien les persécutions de la première période.

  1. Ces lignes ont été écrites en 1942. (Note de l’Éditeur.)