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La rupture de la légitimité, le déracinement quand il n’est pas dû à la conquête, quand il se produit dans un pays par suite de l’abus de l’autorité légitime, suscite inévitablement l’idée obsédante du progrès, car la finalité se tourne alors vers l’avenir.

Le matérialisme athée est nécessairement révolutionnaire, car pour s’orienter vers un bien absolu d’ici-bas, il faut le placer dans l’avenir. On a besoin alors, pour que cet élan soit complet, d’un médiateur entre la perfection à venir et le présent. Ce médiateur est le chef : Lénine, etc. Il est infaillible et parfaitement pur. En passant par lui, le mal devient du bien.

Il faut ou être ainsi, ou aimer Dieu, ou se laisser ballotter par les petits maux et les petits biens de la vie quotidienne.

Le lien entre le progrès et le bas niveau (parce que ce qu’une génération peut poursuivre à partir du moment où la précédente s’est arrêtée est nécessairement extérieur) est un exemple de la parenté entre la force et la bassesse.

La grande erreur des marxistes et de tout le xixe siècle a été de croire qu’en marchant tout droit devant soi, on a monté dans les airs.