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Faire fort par nécessité et non pour un bien — poussé, non attiré — pour maintenir son existence telle qu’elle est — c’est toujours servitude.

En ce sens, la servitude des travailleurs manuels est irréductible.

Effort sans finalité.

C’est terrible — ou plus beau que tout — si c’est finalité sans fin. Le beau seul permet d’être satisfait de ce qui est.

Les travailleurs ont besoin de poésie plus que de pain. Besoin que leur vie soit une poésie. Besoin d’une lumière d’éternité.

Seule la religion peut être la source de cette poésie.

Ce n’est pas la religion, c’est la révolution qui est l’opium du peuple.

La privation de cette poésie explique toutes les formes de démoralisation.

L’esclavage, c’est le travail sans lumière d’éternité, sans poésie, sans religion.

Que la lumière éternelle donne, non pas une raison de vivre et de travailler, mais une plénitude qui dispense de chercher cette raison.

À défaut de cela, les seuls stimulants sont la contrainte et le gain. La contrainte, ce qui implique l’oppression du peuple. Le gain, ce qui implique la corruption du peuple.

Travail manuel. Le temps qui entre dans le corps. Par le travail l’homme se fait matière comme le Christ par l’Eucharistie. Le travail est comme une mort.