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ne nous a pas abaissés, mais a révélé notre vrai niveau.

Désir de voir autrui souffrir ce qu’on souffre, exactement. C’est pourquoi, sauf dans les périodes d’instabilité sociale, les rancunes des misérables se portent sur leurs pareils.

C’est là un facteur de stabilité sociale.

Tendance à répandre la souffrance hors de soi. Si, par excès de faiblesse, on ne peut ni provoquer la pitié ni faire du mal à autrui, on fait du mal à la représentation de l’univers en soi.

Toute chose belle et bonne est alors comme une injure.

Faire du mal à autrui, c’est en recevoir quelque chose, Quoi ? Qu’a-t-on gagné (et qu’il faudra repayer) quand on a fait du mal ? On s’est accru. On est étendu. On a comblé un vide en soi en le créant chez autrui.

Pouvoir faire impunément du mal à autrui — par exemple passer sa colère sur un inférieur et qu’il soit forcé de se taire — c’est s’épargner une dépense d’énergie, dépense que l’autre doit assumer. De même pour la satisfaction illégitime d’un désir quelconque. L’énergie qu’on économise ainsi est aussitôt dégradée.

Pardonner. On ne peut pas. Quand quelqu’un nous a fait du mal, il se crée en nous des réactions. Le désir de la vengeance est un désir d’équi-