Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/104

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aient ou croient avoir un intérêt immédiat à faire ce qu’on leur demande, soit en leur inspirant un fanatisme propre à leur faire accepter tous les sacrifices. En second lieu, comme le pouvoir qu’exerce réellement un être humain ne s’étend qu’à ce qui se trouve effectivement soumis à son contrôle, le pouvoir se heurte toujours aux bornes mêmes de la faculté de contrôle, lesquelles sont fort étroites. Car aucun esprit ne peut embrasser une masse d’idées à la fois ; aucun homme ne peut se trouver à la fois en plusieurs lieux ; et pour le maître comme pour l’esclave la journée n’a jamais que vingt-quatre heures. La collaboration constitue en apparence un remède à cet inconvénient ; mais comme elle n’est jamais complètement pure de rivalité, il en résulte des complications infinies. Les facultés d’examiner, de comparer, de peser, de décider, de combiner sont essentiellement individuelles, et par suite il en est aussi de même du pouvoir, dont l’exercice est inséparable de ces facultés ; le pouvoir collectif est une fiction, du moins en dernière analyse. Quant à la quantité d’affaires qui peuvent tomber sous le contrôle d’un seul homme, elle dépend dans une très large mesure de facteurs individuels tels que l’étendue et la rapidité de l’intelligence, la capacité de travail, la fermeté du caractère ; mais elle dépend également des conditions objectives du contrôle, rapidité plus ou moins grande des transports et des informations, simplicité ou complication des rouages du pouvoir. Enfin l’exercice d’un pouvoir quelconque a pour condition un excédent dans la production des subsistances, et un excédent assez considérable pour que tous ceux qui se consacrent, soit en qualité de maîtres, soit en qualité d’esclaves, à la lutte pour le pouvoir, puissent vivre. Il est clair que la mesure de cet excédent dépend du mode de production, et par suite aussi de l’organisation sociale. Voilà donc trois facteurs qui permettent de concevoir le pouvoir politique