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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/130

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le pourquoi de chaque partie de l’opération ; mais il n’en est pas de même en algèbre, où les signes, à force d’être maniés et combinés entre eux en tant que tels, finissent par faire preuve d’une efficacité dont leur signification ne rend pas compte. Tels sont, par exemple, les signes e et i ; en les maniant convenablement, on aplanit merveilleusement toutes sortes de difficultés, et notamment si on les combine d’une certaine manière avec, on arrive à l’affirmation que la quadrature du cercle est impossible ; cependant aucun esprit au monde ne conçoit quel rapport les quantités, si on peut les nommer ainsi, que désignent ces lettres peuvent avoir avec le problème de la quadrature du cercle. Le calcul met les signes en rapport sur le papier, sans que les objets signifiés soient en rapport dans l’esprit ; de sorte que la question même de la signification des signes finit par ne plus rien vouloir dire. On se trouve ainsi avoir résolu un problème par une sorte de magie, sans que l’esprit ait mis en rapport les données et la solution. Dès lors là aussi, comme dans le cas de la machine automatique, la méthode semble avoir pour domaine les choses au lieu de la pensée ; seulement, en l’occurrence, les choses ne sont pas des morceaux de métal, mais des traits sur du papier blanc. C’est ainsi qu’un savant a pu dire : « Mon crayon en sait plus que moi. » Il va de soi que les mathématiques supérieures ne sont pas un pur produit de l’automatisme, et que la pensée et même le génie ont eu part et ont part à leur élaboration ; il en résulte un extraordinaire mélange d’opérations aveugles avec des éclairs de pensée ; mais là où la pensée ne domine pas tout, elle joue nécessairement un rôle subordonné. Et plus le progrès de la science accumule les combinaisons toutes faites de signes, plus la pensée est écrasée, impuissante à faire l’inventaire des notions qu’elle manie. Bien entendu, le rapport des formules ainsi élaborées avec les applications pratiques dont elles sont suscep-