Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/153

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fonctions sociales qu’elle remplit, mais d’après l’extension qu’elle a prise et la rapidité avec laquelle elle se développe ; et ainsi pour tout. Ainsi le jugement des valeurs est en quelque sorte confié aux choses au lieu de l’être à la pensée. L’efficacité des efforts de toute espèce doit toujours, il est vrai, être contrôlée par la pensée, car, d’une manière générale, tout contrôle procède de l’esprit ; mais la pensée est réduite à un rôle si subalterne qu’on peut dire, pour simplifier, que la fonction de contrôler est passée de la pensée aux choses. Mais cette complication exorbitante de toutes les activités théoriques et pratiques qui a ainsi découronné la pensée en arrive, lorsqu’elle s’aggrave encore, à rendre ce contrôle exercé par les choses à son tour défectueux et presque impossible. Tout est alors aveugle. C’est ainsi que, dans le domaine de la science, l’accumulation démesurée des matériaux de toute espèce aboutit à un chaos tel que le moment semble proche où tout système apparaîtra comme arbitraire. Le chaos de la vie économique est encore bien plus évident. Dans l’exécution même du travail, la subordination d’esclaves irresponsables à des chefs débordés par la quantité des choses à surveiller, et d’ailleurs irresponsables eux aussi dans une large mesure, est cause de malfaçons et de négligences innombrables ; ce mal, d’abord limité aux grandes entreprises industrielles, s’est étendu aux champs là où les paysans sont asservis à la manière des ouvriers, c’est-à-dire en Russie soviétique. L’extension formidable du crédit empêche la monnaie de jouer son rôle régulateur en ce qui concerne les échanges et les rapports des diverses branches de la production ; et c’est bien en vain que l’on essaierait d’y remédier à coups de statistiques. L’extension parallèle de la spéculation aboutit à rendre la prospérité des entreprises indépendante, dans une large mesure, de leur bon fonctionnement ; du fait que les ressources apportées par la production