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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/177

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inutiles autour de Troie, elle nous a légué aussi l’histoire de l’action énergique et pacifique par laquelle les plébéiens de Rome, sans verser une goutte de sang, sont sortis d’une situation qui touchait à l’esclavage et ont obtenu, comme garantie de leurs droits nouveaux, l’institution des tribuns. C’est exactement de la même manière que les ouvriers français, par l’occupation pacifique des usines, ont imposé les congés payés, les salaires garantis et les délégués ouvriers.

On ne peut pas énumérer toutes les abstractions vides qui faussent aujourd’hui la lutte sociale, et dont certaines risquent de la faire dégénérer en une guerre civile funeste pour les deux camps. Il y en a trop. On ne peut que prendre un exemple. Ainsi que peuvent avoir dans l’esprit ceux pour qui le mot « capitalisme » représente le mal absolu ? Nous vivons sous un régime qui comporte des formes de contraintes et d’oppression parfois écrasantes ; des inégalités très douloureuses ; des masses de souffrances inutiles. D’autre part, ce régime est économiquement caractérisé par un certain rapport entre la production et la circulation des marchandises, entre la circulation des marchandises et la monnaie. Dans quelle mesure exacte est-ce que ces deux rapports conditionnent les souffrances en question ? Dans quelle mesure ont-elles d’autres causes ? Dans quelle mesure l’établissement de tel ou tel autre système les allégerait-il ou les aggraverait-il ? Si on étudiait le problème ainsi posé, on pourrait peut-être apercevoir approximativement dans quelle mesure le capitalisme est un mal. Comme on reste dans l’ignorance, on rapporte toutes les souffrances qu’on subit ou qu’on constate autour de soi à quelques phénomènes économiques d’ailleurs perpétuellement changeants, et qu’on cristallise arbitrairement en une abstraction impossible à définir. De la même manière, un ouvrier rapporte arbitrairement au patron toutes les souffrances qu’il subit dans l’usine,