Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/230

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ments compacts, inaltérables de vérité, qui ont naturellement leur place dans toute doctrine vraie. C’est ainsi qu’ils ne sont pas seulement compatibles avec le christianisme, mais infiniment précieux pour lui. Ils doivent être repris à Marx. C’est d’autant plus facile que ce qu’on nomme aujourd’hui le marxisme, c’est-à-dire le courant de pensée qui se réclame de Marx, n’en fait aucun usage. La vérité est trop dangereuse à toucher. C’est un explosif.

Le scientisme du xixe siècle était la croyance que la science de l’époque, au moyen d’un simple développement dans des directions déjà définies par les résultats obtenus, fournirait une réponse certaine à tous les problèmes susceptibles de se poser aux hommes, sans exception. Ce qui s’est passé en fait, c’est qu’après avoir pris un peu d’expansion la science elle-même a craqué. Celle qui est en faveur aujourd’hui, bien qu’elle dérive de celle-là, est une autre science. Celle du xixe siècle a été déposée respectueusement au musée avec l’étiquette : science classique.

Elle était bien construite, simple et homogène. La mécanique y était reine. La physique en était le centre. Comme c’était la branche qui avait obtenu de loin les résultats les plus brillants, elle influençait naturellement beaucoup toutes les autres études. L’idée d’étudier l’homme comme le physicien étudie la matière inerte devait dès lors s’imposer, et était effectivement très répandue. Mais on ne pensait guère à l’homme que comme individu. La matière était dès lors la chair ; ou bien on s’efforçait de définir un équivalent psychologique de l’atome. Ceux qui réagissaient contre cette obsession de l’individu étaient aussi en réaction contre le scientisme.

Marx le premier, et sauf erreur le seul — car on n’a pas continué ses recherches — a eu la double pensée de prendre la société comme fait humain fondamental