Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/239

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pour cette matière non tangible qui est la substance de nos pensées. Seulement il est très difficile d’y saisir la notion de force et de concevoir les lois de cette nécessité.

Mais même avant d’y être parvenu, il est déjà extrêmement utile de savoir que cette nécessité spécifique existe. Cela permet d’éviter deux erreurs dans lesquelles on tombe sans cesse, car dès qu’on sort de l’une on tombe dans l’autre. L’une est de croire que les phénomènes moraux sont calqués sur les phénomènes matériels ; par exemple, que le bien-être moral résulte automatiquement et exclusivement du bien-être physique. L’autre est de croire que les phénomènes moraux sont arbitraires et qu’ils peuvent être provoqués par l’auto-suggestion ou la suggestion extérieure, ou encore par un acte de volonté.

Ils ne sont pas soumis à la nécessité physique, mais ils sont soumis à la nécessité. Ils subissent la répercussion des phénomènes physiques, mais une répercussion spécifique, conforme aux lois propres de la nécessité à laquelle ils sont soumis. Tout ce qui est réel est soumis à la nécessité. Il n’y a rien de plus réel que l’imagination ; ce qui est imaginé n’est pas réel, mais l’état où se trouve l’imagination est un fait. Un certain état de l’imagination étant donné, il ne peut être modifié que si les causes susceptibles de produire un tel effet sont mises en jeu. Ces causes n’ont aucun rapport direct avec les choses imaginées ; mais d’un autre côté elles ne sont pas n’importe quoi. La relation de cause à effet est aussi rigoureusement déterminée dans ce domaine que dans celui de la pesanteur. Elle est seulement plus difficile à connaître.

Les erreurs sur ce point sont innombrables et sont causes de souffrances innombrables dans la vie quotidienne. Par exemple, si un enfant dit qu’il se sent malade, ne va pas à l’école, et trouve soudain des forces pour jouer avec de petits camarades, la famille indi-