Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/240

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gnée pense qu’il a menti. On lui dit : « Puisque tu avais la force de jouer, tu avais aussi celle de travailler. » Or l’enfant peut très bien avoir été sincère. Il a été retenu par un sentiment d’épuisement réel que la vue des petits camarades et l’attrait du jeu ont réellement fait disparaître, au lieu que l’étude ne contenait pas un stimulant suffisant pour produire cet effet. De même, il est naïf de notre part de nous étonner quand nous prenons fermement une résolution et ne la tenons pas. Quelque chose nous stimulait à prendre la résolution, mais ce quelque chose n’était pas assez fort pour nous pousser à l’exécution ; bien plus, l’acte même de prendre une résolution a pu épuiser le stimulant et empêcher ainsi même un commencement d’exécution. C’est ce qui se produit souvent quand il s’agit d’actions extrêmement difficiles. Le cas bien connu de saint Pierre en est sans doute un exemple.

Cette espèce d’ignorance intervient constamment, pour les vicier, dans les rapports entre les gouvernements et les peuples, entre les classes dominantes et les masses. Par exemple, les patrons ne conçoivent que deux manières de rendre leurs ouvriers heureux ; ou bien élever leur salaire, ou bien leur dire qu’ils sont heureux et chasser les méchants communistes qui leur assurent le contraire. Ils ne peuvent pas comprendre que d’une part le bonheur d’un ouvrier consiste avant tout dans une certaine disposition d’esprit à l’égard de son travail ; et que d’autre part cette disposition d’esprit n’apparaît que si sont réalisées certaines conditions objectives, impossibles à connaître sans une étude sérieuse. Cette double vérité, convenablement transposée, est la clef de tous les problèmes pratiques de la vie humaine.

Dans le jeu de cette nécessité qui régit les pensées et les actes des hommes, les rapports de la société et de l’individu sont très complexes. Mais la primauté du social saute aux yeux. Marx a eu raison de commencer