Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/38

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ligence de la technique au lieu d’un simple dressage ; et donner à l’intelligence son objet propre, en la mettant en contact avec le monde par le moyen du travail. Nous voulons mettre en pleine lumière les rapports véritables de l’homme et de la nature, ces rapports que déguise, dans toute société fondée sur l’exploitation, « la dégradante division du travail en travail intellectuel et travail manuel ». Nous voulons rendre à l’homme, c’est-à-dire à l’individu, la domination qu’il a pour fonction propre d’exercer sur la nature, sur les outils, sur la société elle-même ; rétablir la subordination des conditions matérielles du travail par rapport aux travailleurs ; et au lieu de supprimer la propriété individuelle, « faire de la propriété individuelle une vérité, en transformant les moyens de production… qui servent aujourd’hui surtout à asservir et exploiter le travail, en de simples instruments du travail libre et associé ».

C’est là la tâche propre de notre génération. Depuis plusieurs siècles, depuis la Renaissance, les hommes de pensée et d’action travaillent méthodiquement à rendre l’esprit humain maître des forces de la nature ; et le succès a dépassé les espérances. Mais au cours du siècle dernier l’on a compris que la société elle-même est une force de la nature, aussi aveugle que les autres, aussi dangereuse pour l’homme s’il ne parvient pas à la maîtriser. Actuellement cette force pèse sur nous plus cruellement que l’eau, la terre, l’air et le feu ; d’autant qu’elle a elle-même entre ses mains, par les progrès de la technique, le maniement de l’eau, de la terre, de l’air et du feu. L’individu s’est trouvé brutalement dépossédé des moyens de combat et de travail ; ni la guerre ni la production ne sont plus possibles sans une subordination totale de l’individu à l’outillage collectif. Or le mécanisme social, par son fonctionnement aveugle, est en train, comme le montre tout ce qui arrive depuis août 1914, de détruire