Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/42

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salut, mais nager jusqu’à l’épuisement. Et nous ne sommes pas véritablement sans espoir. Le seul fait que nous existons, que nous concevons et voulons autre chose que ce qui existe, constitue pour nous une raison d’espérer. La classe ouvrière contient encore, dispersés çà et là, en grande partie hors des organisations, des ouvriers d’élite, animés de cette force d’âme et d’esprit que l’on ne trouve que dans le prolétariat, prêts, le cas échéant, à se consacrer tout entiers, avec la résolution et la conscience qu’un bon ouvrier met dans son travail, à l’édification d’une société raisonnable. Dans des circonstances favorables, un mouvement spontané des masses peut les porter au premier plan de la scène de l’histoire. En attendant, l’on ne peut que les aider à se former, à réfléchir, à prendre de l’influence dans les organisations ouvrières restées encore vivantes, c’est-à-dire, pour la France, dans les syndicats, enfin à se grouper pour mener, dans la rue ou dans les entreprises, les actions qui sont encore possibles malgré l’inertie actuelle des masses. Un effort tendant à grouper tout ce qui est resté sain au cœur même des entreprises, en évitant aussi bien l’excitation des sentiments élémentaires de révolte que la cristallisation d’un appareil, ce n’est pas encore grand’chose, mais il n’y a pas autre chose. Le seul espoir du socialisme réside dans ceux qui, dès à présent, ont réalisé en eux-mêmes, autant qu’il est possible dans la société d’aujourd’hui, cette union du travail manuel et du travail intellectuel qui définit la société que nous nous proposons.

Mais, à côté de cette tâche, l’extrême faiblesse des armes dont nous disposons nous oblige à en entreprendre une autre. Si, comme ce n’est que trop possible, nous devons périr, faisons en sorte que nous ne périssions pas sans avoir existé. Les forces redoutables que nous avons à combattre s’apprêtent à nous écraser ; et certes elles peuvent nous empêcher d’exister