bler ou à diminuer la joie. Mais il n’en est pas ainsi. La joie en devient seulement d’une douceur plus pénétrante et plus poignante, comme la fragilité des fleurs de cerisiers en accroît la beauté.
Si l’on dispose ainsi la pensée, au bout d’un certain temps la Croix du Christ doit devenir la substance même de la vie. C’est cela sans doute que le Christ a voulu dire quand il conseillait à ses amis de porter chaque jour leur croix, et non pas, comme on semble croire aujourd’hui, la simple résignation aux petits ennuis de chaque jour, que l’on nomme parfois des croix, par un abus de langage presque sacrilège. Il n’y a qu’une croix, c’est la totalité de la nécessité qui emplit l’infinité du temps et de l’espace, et qui peut, en certaines circonstances, se concentrer sur l’atome qu’est chacun de nous et le pulvériser totalement. Porter sa croix, c’est porter la connaissance qu’on est entièrement soumis à cette nécessité aveugle, dans toutes les parties de l’être, sauf un point si secret de l’âme que la conscience ne l’atteint pas. Si cruellement qu’un homme souffre, si une partie de son être est intacte, et s’il n’a pas pleinement conscience qu’elle a échappé par hasard et reste à tout moment exposée aux coups du hasard, il n’a aucune part à la Croix. Il en est ainsi surtout si la partie de l’être demeurée intacte, ou du moins plus ou moins épargnée, est la partie sociale. C’est pourquoi la maladie est d’un usage nul si l’esprit de pauvreté, dans sa perfection, ne s’y ajoute pas. Un homme parfaitement heureux peut en même temps pleinement jouir du bonheur et porter sa croix, s’il