Page:Weil - Pensées sans ordre concernant l’amour de DIeu, 1962.djvu/111

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a réellement, concrètement et à tout moment la connaissance de la possibilité du malheur.

Mais il ne suffit pas de connaître cette possibilité, il faut l’aimer. Il faut aimer tendrement la dureté de cette nécessité qui est comme une médaille à double face, la face tournée vers nous étant domination, la face tournée vers Dieu étant obéissance. Il faut la serrer dans nos bras, même si elle nous présente ses pointes et qu’en l’étreignant nous les fassions entrer dans notre chair. Quiconque aime est heureux, dans l’absence, de serrer jusqu’à le faire pénétrer dans la chair un objet appartenant à l’être aimé. Nous savons que cet univers est un objet appartenant à Dieu. Nous devons remercier Dieu du fond du cœur de nous avoir donné pour souveraine absolue la nécessité, son esclave insensée, aveugle et parfaitement obéissante. Elle nous mène avec le fouet. Mais étant soumis ici-bas à sa tyrannie, il suffit que nous choisissions Dieu pour notre trésor, que nous mettions en Dieu notre cœur ; et dès maintenant nous verrons l’autre face de cette tyrannie, la face qui est pure obéissance. Nous sommes les esclaves de la nécessité, mais nous sommes aussi les fils de son Maître. Quoi qu’elle nous ordonne, nous devons aimer le spectacle de sa docilité, nous qui sommes les enfants de la maison. Toutes les fois qu’elle ne fait pas ce que nous voulons, qu’elle nous force à subir ce que nous ne voulons pas, il nous est donné par l’amour de passer à travers elle et de voir la face d’obéissance qu’elle montre à Dieu. Heureux ceux qui ont souvent cette précieuse occasion.