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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/54

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laisse point d’envelopper en soi un raisonnement semblable à celui que font les arpenteurs, lorsque, par le moyen de deux différentes stations, ils mesurent les lieux inaccessibles ». (Dioptrique, VI, p. 138.)

Ainsi ce Descartes qui de loin semblait présenter un système cohérent et convenable au fondateur de la science moderne, nous n’y trouvons plus, en y regardant de plus près, que contradictions. Et, ce qui est plus grave, ces contradictions semblent procéder toutes d’une contradiction initiale. Car on ne voit pas, pour ce fondateur de la science moderne, quel intérêt pouvait présenter la science, lui qui avait pris pour devise la maxime du temple de Delphes ainsi mise en vers par Sénèque :

Illi mors gravis incubat
Qui notus nimis omnibus
Ignotus moritur sibi
[1]

Comment celui qui avait ainsi adopté la devise socratique du « Connais-toi » a-t-il pu consacrer sa vie à ces recherches de physique que Socrate raillait ? À ce sujet le texte par lequel Descartes affirme qu’il a employé principalement la raison dont Dieu lui a donné l’usage à le connaître et à se connaître soi-même, ajoutant qu’il « n’eût su trouver les fondements de sa Physique s’il ne les eût cherchés par cette voie » (I, p. 144), ne fait que redoubler l’obscurité. Au reste quoi d’étonnant à ce que nous ne trouvions en Descartes qu’obscurités, difficultés,

  1. « La mort le frappe durement,
    « Celui qui, trop connu de tous,
    « Meurt sans s’être connu lui-même. »