Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/113

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retournait entre ses doigts son chapeau de feutre. L'autre at- tendait. Alors le père s'excusa. C'était étonnant ce qu'il venait demander là, ça ne se faisait pas. pardon, excuse. Mais enfin, il s'agissait du petit. Un gentil petit, monsieur1 Et si intelli- gent Toujours le premier à l'école, excepté dans le calcul, qu'il ne comprend pas. Un rêveur, ce petit, voyez-vous! Oui, un rêveur. Et la preuve. Tenez. la preuve. Jacques maintenant hésitait, balbutiait puis il ramassa son courage et, brusquement «  La preuve, c'est qu'il veut vous voir, qu'il veut vous voir, qu'il ne pense qu'à vous, et que vous êtes là, devant lui, comme une étoile qu'il voudrait avoir et qu'il regarde. » Quand il eut fini, le père, très blême, avait sur Je front de grosses gouttes. Il n'osait regarder le clown, qui, lui, restait les yeux fixés sur l'ouvrier. Et qu'est-ce qu'il allait dire, Boum- Boum ? S'il allait le congédier, le prendre pour un fou, le mettre à la porte? «  Vous demeurez? demanda Boum-Boum. Oh tout près, rue des Abbesses1 Allons dit l'autre. Il veut voir Boum-Boum, votre garçon? Eh bien il va voir Boum-Boum » Lorsque la porte s'ouvrit devant le clown, Jacques Legrand cria joyeusement à son fils « François, sois content, gamin! Tiens, le voilà, Boum- Boum! » Et l'enfant eut sur lé visage un éclair de joie. Il se souleva sur le bras de sa mère, et tourna la tête vers les deux hommes qui venaient d'entrer, chercha un moment, à côté de son père, quel était ce monsieur en redingote, dont la bonne figure gaie lui souriait, et qu'il ne connaissait pas, et quand on lui dit « C'est Boum-Boum 1», il laissa retomber lentement, tristement son front sur l'oreiller, et resta encore les yeux fixes, ses beaux grands yeux bleus qui regardaient au delà des murailles de la petite chambre, et cherchaient toujours les paillons et le papillon -de Boum-Boum, comme un amoureux poursuit son rêve. « Non, répondit l'enfant, de sa voix qui n'était plus sèche, mais désolée; non, ce n'est pas Boum-Boum 1 » Le clown, debout près du petit lit, laissait tomber sur ce vi- sage de petit malade un regard profond, très grave et d'une douceur infinie. Il hocha.la'tête', regarda le père anxieux, la mère écrasée, dit en souriant « I1 a raison, ce n'est pas Boum-Boum » Et il partit. «  Je ne le verrai plus, je ne le verrai plus, Boum-Boum répé-^ tait maintenant l'enfant, dont la petite voix parlait aux anges.