Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/162

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Les Oiseaux chanteurs Un jour, Pierre Loti, uccompagnéde la petite princesse Pomaré, se rend au bois de Fataoua, duns l'ïle de Tahiti; il va, dans ces bois silencieux, lâcher toute une bande d'oiseaux chanteurs. LE JOUR fixé par LA PETITE princesse pour lâcher dans la cam- pagne les oiseaux chanteurs était arrivé. Nous étions cinq personnes qui -devions procéder à cette importante opération, et, une voiture partie de chez la reine nous ayant déposés à l'entrée des sentiers de Fataoua, nous nous enfonçâmes sous bois. La petite Pomaré, qu'on nous avait confiée, marchait tout doucement entre Rarahu (1) et moi, qui, tous deux, lui donnions la main deux suivantes venaient par derrière, portant sur un bâton la cage et ses précieux habitants. Ce fut dans un recoin délicieux du bois de Fataoua, loin de toute habitation humaine, que l'enfant désira s'arrêter. C'était le soir le soleil déjà très bas ne pénétrait plus guère sous l'épais couvert de la forêt au-dessus de toute cette végé- tation, il y avait encore les grands mornes (2) qui jetaient sur nous leurs ombres. Une lumière bleuâtre, qui descendait d'en haut comme dans les caves, tombait à terre sur un tapis de fougères fines et exquises sous les grands arbres s'étalaient des citronniers tout blancs de fleurs. On entendait de loin dans l'air humide le bruit de la grande cascade autrement, c'était toujours ce silence des bois de la Polynésie, sombre pays enchanté, auquel il semble. qu'il manque la vie. La petite-fille de Pomaré, grave et sérieuse, ouvrit elle-même la porte aux oiseaux, et puis nous nous retirâmes tous pour ne point troubler ce départ. Mais les petites bêtes avaient l'air peu disposées à prendre la volée. Celle qui la première passa la tête à la porte, une grosse linotte sans queue parut examiner attentivement les lieux, et puis elle rentra, effrayée de ce silence et de cet air solennel, pour dire.aux autres sans doute « Vous vous trou- verez mal dans ce pays; le Créateurn'y avait point mis d'oiseaux; ces ombrages ne sont pas faits pour nous. » Il fallut les prendre tous il la main pour les décider à sortir, et, quand toute la bande fut dehors, sautillant de branche en blanche d'un air inquiet, nous retournâmes sur nos pas. Il faisait déjà presque nuit. Nous les entendîmes derrière nous jusqu'au moment où nous fûmes hors des grands bois. Pierre LOTI, l:e Mariage de Loti (Calmann-Lévy, édit.) 1. liaraltu: nom d'une Tahitionno. 2, Mornes montagnes isolées et arrondies, dans les îles de là Polynésie.