Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/253

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Je pensais: Ah! pauvre femme. pauvre père! si vous aviez su que vous éleviez votre enfant avec tant d'amour et de peines, pour qu'il périsse un jour misérablement, seul, loin de tout secours quelles n'auraientpas été votre désolation et vos malédictions contre ceux qui l'ont réduit à cet état! Ah! si vous étiez là! si je pouvais seulement vous demander pardon des peines que je vous ai données 1» Et, songeant à cela, les larmes me couvraient la figure, ma poitrine se gonflait longtemps je sanglotai tout bas en moi- même. La rosée s'était mise à tomber vers le matin. Ce grand bruit monotone sur les toits, dans le jardin et la ruelle, remplissait le silence. Je songeais à Dieu qui, depuis le commencement des temps, fait les mêmes choses, et dont la puissance est sans bornes; qui pardonne les fautes, parce qu'il est bon, et j'espérais qu'il me pardonnerait, en considération de mes souffrances. Comme la rosée était forte, elle finit par emplir le petit ruis- seau. De temps en temps, on entendait un mur tomber dans le village, un toit s'affaisser; les animaux, effarouchés par la ba- taille, reprenaient confiance et sortaient au petit jour une chèvre bêlait dans l'étable voisine; un grand chien de berger, la queue traînante, passa, regardant les morts; le cheval, en le voyant, se mit à souffler d'une façon terr ible; il le prenait peut- être pour un loup, et le chien se sauva. Tous ces détails me reviennent,parce qu'au moment de mou- rir on voit tout, on entend tout; on se dit en quelque sorte «  Regarde. écoute. car bientôt tu n'entendras et tu ne verras plus rien en ce monde » Mais ce qui m'est resté bien autrement dans l'esprit, ce que je ne pourrais jamais oublier, quand je vivrais cent ans, c'est lorsqu'au loin je crus entendre un bruit de paroles. Oh comme je me réveillai. comme j'écoutai. et comme je me levai sur mon bras pour crier: « Au secours! » Il faisait encore nuit, et pourtant un peu de jour pâlissait déjà le ciel; tout au loin, à travers la pluie qui rayait l'air, une lumière marchait au mi- lieu des champs, elle allait au hasard, s'arrêtant ici. là. et je voyais alors des formes noires se pencher autour; ce n'étaient que des ombres confuses, mais d'autres que moi voyaient aussi cette lumière, car de tous côtés des soupirs s'élevaient dans la nuit. des cris plaintifs, des voix si faibles, qu'on aurait dit de petits enfants qui appellent-leur mère! Mon Dieu, qu'est-ce que la vie? De quoi donc- est-elle faite, pour qu'on y attache un si grand prix? Ce misérable souffle qui nous fait tant pleurer, tant souffrir, pourquoi donc craignons- nous de le perdre plus que tout au monde? Que nous est-il donc réservé plus tard, puisqu'à la moindre crainte de mort tout frémit en nous?