Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/252

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siblement l'appel. Je m'appuyai contre un arbre, et le chirur- gien-major vint me bander le front. Une large pluie de mars tombait sur ma tête et me faisait quelque bien. Je ne pus m'em- pêcher de pousser un profond soupir «  Je suis las de la guerre, » dis-je au chirurgien. Alfred de VIGNY, Servitude et Grandeur militaires (Delagrnve, édit,).. Blessé sur le champ de bataille JE ME RÉVEILLAI DANS LA NUIT, au milieu du silence. Des nua- ges traversaientle ciel, et la lune regardait le village abandonné, les canons renversés et les tas de moris, comme elle regarde, depuis le commencement du monde, l'eau qui coule, l'herbe qui pousse et les feuilles qui tombent en automne. Les hommes ne sont rien auprès des choses éternelles; ceux qui vont mourir le comprennentmieux que les autres. Je ne pouvais plus bouger et je souffrais beaucoup; mon bras droit seul remuait encore. Pourtant je parvins à me dresser sur le coude, et je vis les morts entassés jusqu'au fond de la ruelle: la lune donnait dessus; ils étaient blancs comme de la neige les uns, la bouche et les yeux tout grands ouverts; les autres, la face contre terre, la giberne et le sac au dos, la main cramponnée au fusil. Je voyais cela d'une façon effrayante, mes dents en daquaient d'épouvante. Je voulus appeler au secours; j'entendis comme un faible cri d'enfant qui sanglote, et je m'affaissai de désespoir. Mais ce faible cri que j'avais poussé dans le silence en éveillait d'au- tres de proche en proche; cela gagnait de tous les côtés tous les blessés croyaient entendre arriver du secours, et ceux qui pouvaient encore se plaindre appelaient. Ces cris durèrent quelques instants, puis tout se tut, et je n'entendis plus qu'un cheval souffler lentement près de moi, derrière la haie. Il vou- lait se lever, je voyais sa tête se dresser au bout de son longs cou, puis il retombait. Moi, par l'effort que je venais de faire, ma blessure s'était rouverte, et je sentais de nouveau le sang couler sous mon bras. Alors je fermai les yeux pour me laisser mourir, et toutes les choses lointaines, depuis le temps de ma première enfance, les choses*du village, lorsque ma pauvre mère me tenait dans ses bras et qu'elle chantait pour m'endormir, la' petite cham- bre, la vieille alcôve, notre chien Pommer, qui jouait avec moi et me roulait à terre; le père qui rentrait le soir tout joyeux, la hache sur l'épaule, et qui me prenait dans ses larges mains en m'embrassant,-toutes ces choses me revinrent comme un rêve