Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/260

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«  Fils d'ours, lui dirent-ils en le menaçant du poing, tais-toi si tu veux garder la vie Pas un mot de plus, vaurien 1» Mais Rasmus le charbonnier ne se taisait pas facilement; et il cria plus fort « La Princesse vient 1 Les oiseaux silencieux de la forêt des pins l'ont saluée de leurs chants et de leur gazouillis. Là où elle passait, l'écureuil se laissait glisser du haut de .son arbre et se tenait immobile sur la branche la plus basse, la queue en bouquet et les yeux comme des braises; et le coq de bruyère s'envolait avec un bruit de tonnerre. » A ces mots, Per le forgeron se précipita et le saisit par l'oreille. «  Tu dis, siffla-t-il entre ses dents, tu dis que tu as vu la Princesse1 Ce n'était que la Dame des Bois (1), comprends-tu? La Belle Dame des Bois! Dieu ait pitié de nous! La Princesse ne viendra pas. » Bien que personne ne voulût y croire, le bruit ne s'en répandit pas moins d'un bout à l'autre du village, du pauvre village que les guerres des années précédentes avaient incendié, et qu'on n'avait point osé reconstruire par crainte des guerres futures. Mais de toutes les caves et des masures et des cavernes où ils s'étaient réfugiés, les gens sortaient, et timidement, le visage émacié, le corps couvert de haillons, ils s'approchaientde Ras- mus pour entendre son histoire. Quand le forgeron Per vit leur nombre croître, il pinça si durement l'oreille du jeune gars que celui-ci en poussa un gémissement; et en même temps il essayait par de bonnes paroles d'obtenir son silence. «  Il ne faut pas te moquer de pauvres paysans comme nous qui habitons ce pays de frontières, et qui supportons toutes les misères des guerres que se font les rois du Nord. Nous sommes des brebis séparées du troupeau. Les ours nous don- nent la chasse et nous poussent jusqu'au précipice. Chaque jour et à chaque instant, la mort cruelle est là, et nous la regar- dons dans les yeux. » Pendant que le forgeron parlait, les gens s'étaient amassés. Il y en avait un, nommé Hallvard, qui, persuadé que la guerre allait recommencer,avait fait traîneurla veille, sur la grand'route, le coffre. où il serrait son argent, et qui invitait les passants à en prendre ce qu'ils voudraient. Il y avait aussi des habitants de Vestergarden, qui avaient converti tout leur héritage en ripailles et qui attendaient la mort' dans l'orgueil de leurs péchés. Et il y avait encore les fermiers d'une petite ferme située tout en haut du village: ceux-là avaient mis le feu à (1) La Dame des Dois personnage de légende, qui charme et trompe les pauvres geus.