Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/31

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« Je ne suis pas jaloux de ceux qui gagnent la première mé- daille grâce aux protections et à l'injustice. » C'était un billet que Voltini voulait envoyer à Derossi.- En même temps, je vis que les voisins de Derossi chuchotaient entre eux, se parlant à l'oreille, et l'un d'entre eux découpait avec son canif une grande médaille de papier, sur laquelle on avaitdessiné un serpent noir. Voltini s'en aperçut. Le maître étant sorti pour un instant, les voisins de Derossi se levèrent aussitôt pour aller présenter solennellement la médaille de papier à l'envieux. Toute la classe se préparait à voir une scène. Voltini était déjà tout tremblant. Derossi cria «Donnez-la moi. Encore mieux1 répondirent les voisins, c'est toi qui dois la lui offrir. » Derossi prit la médaille, et la déchira en mille morceaux. Le maître rentra à ce moment et reprit la leçon. Je ne quittai pas Voltini des yeux; il était devenu rouge de confusion il prit doucement la feuille qu'il avait écrite, comme par distraction la roula dans sa main, la mit dans sa bouche, la mâcha pen- dant quelques secondes, puis la cracha sous le banc. Au sortir de la classe, en passant devant Derossi, Voltini, un peu troublé, laissa tomber son buvard. Derossi le ramassa gra- cieusement, le glissa dans le sac de Voltini et l'aida à le bou- cler. L'autre n'osa pas même le regarder. E. DE Amicis, Grands coeurs Traduction Piazzi (Delagrave, édit.). L'Arrivée d'un nouveau Nous étions À l'étude, quand le Proviseur entra, suivi d'un nouveau habillé en bourgeois et d'un garçon de classe qui por- tait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail. Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir; puis, se tour- nant vers le irialtre d'études «  Monsieur Roger, lui dit-il à demi-voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires, il passeradans les grands, où l'appelle son âge. » Resté dans l'angle, derrière la porte, si bien qu'on l'aperce- vait à peine, le nouveau était un gars de la campagne, d'une quinzaine d'années environ, et plus haut de taille qu'aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupés droit sur le front comme un, chantre de village, l'air raisonnable et fort embarrassé. Quoiqu'il ne fût pas large des épaules, son habit-veste de drap vert a boutons noirs devait le gêner aux entournures et laissait voir, par la fente, des parements, des poignets rouges