Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/32

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habitués à être nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d'un pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de souliers forts, mal cirés, garnis de clous. On commença la récitation des leçons. Il les écouta de toutes ses oreilles, attentif comme au sermon, n'osant même croiser les cuisses, ni s'appuyer sur le coude, et, à deux heures, quand la cloche sonna, le maître d'études fut obligé de l'avertir pour qu'il se mît avec nous dans les rangs. Nous avions l'habitude, en entrant en classe, de jeter nos cas- quettes par terre, afin d'avoir ensuite nos mains plus libres; il fallait, .dès le seuil de la porte, les lancer sous le banc, de façon à frapper contre la muraille en faisant beaucoup de poussière; c'était là le genre. Mais soit qu'il n'eût pas remarqué cette manœuvre ou qu'il n'eût osé s'y soumettre, la prière était finie que le nouveau te- nait encore sa casquette sur ses deux genoux. C'était une de ces coiffures d'ordre composite, où l'on retrouve les éléments du bonnetà poil,. du chapska (1), du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses enfin dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le visage d'un imbécile. Ovoïde et renflée de baleines, elle com- mençait par trois boudins circulaires puis s'alternaient, sépa- rés par une bande rouge, des losanges de velours et de poil de lapin; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonné, couvert d'une broderie en soutache com- pliquée, et d'où pendait, au bout d'un long cordon trop mince, un petit croisillon de fil 'd'or, en manière de gland. Elle était neuve; la visière brillait. «Levez-vous, » dit le professeur. Il se leva sa casquette tomba. Toute la classe se, mit à rire. Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber d'un coup dé coude; il la ramassa encore une fois. « Débarrassez-vous donc de votre e casque, » dit le professeur, qui était un homme d'esprit. Il y eut un rire éclatant des écoliers qui décontenança le pau- vre garçon, si bien qu'il ne savait s'il fallait garder sa casquette à la main, la laisser par terre, ou la mettre sur sa tête. Il se rassit et la posa sur ses genoux. «  Levez-vous, reprit le professeur, et dites-moi votre nom. » Le nouveau articula, d'une voix bredouillante, un nom inin- telligible. «  Répétez 1» i. Chapska coiffure militaire, empruntée aux Polonais, et que portèrent en franco les lanciers du second Empire.