Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/60

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La mère de Hanz, dont le mari était mort bien loin à la guerre, vivait tant bien que mal de quelques légumes du jar- din, et du produit de son rouet bien peu de chose; mais Hanz ne manquait de rien, c'était assez. Certes, c'était une femme pieuse et croyante que la mère de Hanz. 'Elle priait, travaillait et pratiquait la vertu mais elle commit une faute elle se regarda avec trop de complaisance et s'enorgueillittrop dans son fils. Il arrive quelquefois que les mères, voyant ces beaux enfants vermeils, aux mains trouées de fossettes, à la peau blanche, aux talons roses, s'imaginent qu'ils sont à elles pour toujours; mais Dieu ne donne rien, il prête seulement et, comme un créancier oublié, il vient parfois redemander subitement son dû. Parce que ce frais bouton était sorti de sa tige, la mère de Hanz crut qu'elle l'avait fait naître et Dieu, qui, du fond de son paradis aux voûtes d'azur étoilées d'or, observe tout ce qui se passe sur terre, et entend du bout de l'infini le bruit que fait le brin d'herbe en poussant, ne vit pas cela avec plaisir. Il vit aussi que Hanz était gourmand et sa mère trop indul- gente à sa gourmandise souvent ce mauvais enfant pleurait lorsqu'il fallait, après le raisin et la pomme, manger le pain, objet de l'envie de tant d'e malheureux, et la mère le laissait jeter le morceau commencé, ou l'achevait elle-même. Or, il advint que Hanz tomba malade; la fièvre le brûlait, sa respiration sifflait dans son gosier étranglé il avait le croup, une maladie terrible qui a fait rougir les yeux de bien des mères et de bien des pères. La pauvre femme, à ce spectacle, sentit une douleur horrible. Sans doute, vous avez vu dans quelque église l'image de Notre-Dame, vêtue de deuil et debout sous la croix, avec sa poitrine ouverte et son coeur ensanglanté, où plongent sept glaives d'argent, trois d'un côté, quatre de l'autre. Cela veut dire qu'il n'y a pas d'agonie plus affreuse que celle d'une mère qui voit mourir son enfant. Et pourtant la Sainte Vierge croyait à la divinité de Jésus et savait que son fils ressusciterait. Or la mère de Hanz n'avait pas cet espoir. Pendant les derniers jours de la maladie de Hanz, tout en veillant, la mère, machinalement, continuait à filer, et le âouir- donnelnent du rouet se mêlait au râle du petit moribond. Si les riches trouvent étrange qu'une mère file près du lit de mort de son enfant, c'est qu'ils ne savent pas ce que la pau- vreté renferme de tortures pour l'âme; hélas elle ne brise bas seulement le corps, elle brise aussi le coeur.