Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/61

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Ce qu'elle filait ainsi, c'était le fil pour le linceul de son petit Hanz elle ne voulait pas qu'une toile qui eût servi enveloppât ce cher corps, et comme elle n'avait pas d'argent, elle faisait ronfler son rouet avec une funèbre activité mais elle ne pas- sait pas le fil sur ses lèvres comme d'habitude il lui tombait assez de pleurs des yeux pour le mouiller. A la fin du sixième jour, Hanz expira. Soit hasard, soit sym- pathie, la guirlande de liseron qui caressait son berceau lan- guit* se fana, se dessécha, et laissa tomber sa dernière fleur crispée sur le lit. Quand la mère fut bien convaincue que le souffle s'était envolé à tout jamais de ces lèvres où les violettes de la mort avaient remplacé les roses de la vie, elle recouvrit avec le bout du drap cette tête trop chère, prit son paquet de fil sous son bras, et se dirigea vers la maison du tisserand. « Tisserand, lui dit-elle, voici du fil bien égal, très fin et sans noeuds l'araignée n'en file pas de plus délié entre les solives du plafond que votre navette aille et vienne de ce fil, il me faut faire une aune de toile aussi douce que la toile de Frise et de Hollande. » Le tisserand prit l'écheveau, disposa la chaîne, et la navette affairée, tirant le fil après elle, se mit à courir çà et là. Le peigne raffermissait la trame, et la toile s'avançaitsur le métier sans inégalité, sans rupture, aussi fine que la chemise d'une archiduchesse ou le linge dont le prêtre essuie le calice de l'autel. Quand le fil fut tout employé, le tisserand rendit la toile à la pauvre mère et lui dit, car il avait tout compris à l'air fixement désespéré de la malheureuse «  Le fils de l'empereur,,qui est mort l'année dernière, en nour- rice, n'est pas enveloppé dans son petit cercueil d'ébène, à clous d'argent, d'une toile plus moelleuse et plus fine. » Ayant plié la toile, la mère tira de son doigt amaigri un mince anneau d'or tout usé par le frottement. «  Bon tisserand, dit-elle, prenez cet anneau, mon anneau de mariage, le seul or que j'aie jamais possédé. » Le brave homme de tisserand ne voulait pas le prendre; mais elle dit: « Je n'ai pas besoin de bague là où je vais; car, je le sens, les petits bras de Hanz me tirent en terre. » Elle alla ensuite chez le charpentier et lui dit « maître, prenez de bon coeur de chêne qui ne pourrisse pas et que les vers ne puissent piquer taillez-y cinq planches et d«ux planchettes, et faites-en une bière de cette mesure. » Le charpentier prit la scie et le,rabot, ajusta les ais, frappa avec son maillet sur les clous le plus doucement possible, pour