Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/68

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s'en retourner par où ils étaient venus, quand leur chef, convaincu que les menaces ne produiraient aucune impression sur le fils de Falcone, voulut faire un dernier effort et tenter le pouvoir des caresses et des présents. L'adjudant tira de sa poche une montre d'argent qui valait bien dix écus; et, remarquant que les yeux du petit Fortunato étincelaient en la regardant, il lui dit en tenant la montre suspendue au bout de sa chaîne d'acier. « Fripon ! tu voudrais bien avoir une montre comme celle-ci suspendue à ton col, et tu te promènerais dans les rues de Porto-Vecchio, fier comme un paon, et les gens te demanderaient: Quelle heure est-il ? Et tu leur dirais: Regardez à ma montre. - Quand je serai grand, mon oncle le caporal me donnera une montre. - Oui, mais le fils de ton oncle en a déjà une ... pas aussi belle que celle-ci, à la vérité ... Cependant il est plus jeune que toi. » L'enfant soupira. « Eh bien, la veux-tu, cette montre, petit cousin ? »

Fortunato, lorgnant la montre du coin de l'œil, ressemblait à un chat à qui l'on présente un poulet tout entier. Comme il sent qu'on se moque de lui, il n'ose y porter la griffe, et de temps en temps il détourne les yeux pour ne pas s'exposer à succomber à la tentation mais il se lèche les babines à tout moment, et il a l'air de dire à son maître: Que votre plaisanterie est cruelle! Cependant la montre oscillait, tournait, et quelquefois lui heurtait le bout du nez. Enfin, peu à peu sa main droite s'éleva sur la montre: le bout de ses doigts la toucha; et elle pesait tout entière dans sa main sans que l'adjudant lâchât pourtant le bout de la chaîne. Le cadran était azuré ... la boîte nouvellement fourbie ... au soleil elle paraissait toute de feu ... La tentation était trop forte. Fortunato éleva aussi sa main gauche et indiqua du pouce par-dessus son épaule le tas de foin auquel il était adossé. L'adjudant le comprit aussitôt. Il abandonna l'extrémité de la chaîne; Fortunato se sentit seul possesseur de la montre. 11 se leva avec l'agilité d'un daim, et s'éloigna de dix pas du tas de foin, que les voltigeurs se mirent aussitôt à culbuter. On ne tarda pas à voir le foin s'agiter, et un homme sanglant, le poignard à la main, en sortit; mais, comme il essayait de se lever en pied, sa blessure refroidie ne lui permit plus de se tenir debout. Il tomba. L'adjudant se jeta sur lui et lui arracha son stylet. Aussitôt on le garrotta fortement, malgré sa résistance.