Page:Weiss - À propos de théâtre, 1893.djvu/359

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avec plus ou moins d’obstination, qu’ils seraient à leur tour Napoléon. Jusque dans l’amour, les Français de notre temps ont porté l’ambition napoléoniste. Une race s’est élevée de héros d’amour, pauvres et obscurs, de qui le roman était d’épouser, comme Bonaparte, une archiduchesse d’Autriche ou à tout le moins d’en être aimé. Stendahl dans le Rouge et le Noir (1831) a fait l’analyse magistrale de cette disposition psychique en créant le Julien Sorel de race paysanesque qui conçoit froidement et exécute l’entreprise d’abord de se faire aimer par madame de Raynal, la femme le plus en vue de sa petite ville, ensuite d’épouser mademoiselle de La Mole, fille d’un des plus grands seigneurs de France. Julien Sorel, ver de terre conquérant d’une étoile, est de 1831 ; Ruy-Blas, amoureux de la reine, arrive en 1832. Si le napoléonisme s’est infiltré jusque dans l’amour pour en corrompre l’ingénuité et la simplicité, à plus forte raison chaque Français de la classe de ceux qui ont reçu tant soit peu de reflet de l’histoire, a-t-il rêvé d’être dans l’État Napoléon ou de jouer dans le monde par le talent qui lui était propre un rôle égal à celui de Bonaparte. Je ne citerai point des noms qui sont sur toutes les lèvres. Le républicanisme même le plus outré n’est point dans une âme un antidote qui la préserve du virus napoléonien. Il y a eu des napoléoniens de la Commune.