Page:Weiss - À propos de théâtre, 1893.djvu/55

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s’il l’eût voulu, s’il s’y fût pris à temps, eussent été plus dignes d’envie que ses années pourtant si heureuses d’activité et de renommée. Je me le figure, revenant le matin, en mai ou juin, d’une course à travers les prés et la rosée ; le facteur lui apporte son journal ; il le prend et court au soiriste, qui raconte un brillant début de jeune premier à la Comédie et qui ne manque pas de dire : « Eh ! Eh ! ce n’est cependant pas tout à fait Delaunay ! Il s’en faut ! Vous rappelez-vous Delaunay dans le rôle !… » Ce serait là encore des plaisirs d’amour-propre et des arrière-bouffées de vraie gloire ! Au lieu de cela, le voilà qui reste exposé aux âpres critiques, pour l’heure où son talent fléchira ; et il fléchira ; c’est l’implacable loi ! Le voilà qui va attendre l’indifférence et la lassitude du public ; et elles viendront, elles viennent toujours ! Et puisqu’il veut rester désormais jusqu’à ce qu’on le renvoie, hélas ! lui aussi l’incomparable Valère et le Dorante non pareil, on le renverra ! Combien peut-être alors il aura le cœur amer ! Sommes-nous donc tous ainsi faits ? Nous est-il donc à tous difficile de nous marquer l’heure où le temps va passer d’aimer et d’être aimé, d’être admiré et célébré, et le temps d’agir, et le temps d’écrire, et le temps de nous démener et de raisonner sur nos tréteaux ! Est-il donc si dur à reconnaître et à accepter, le moment où l’on ne doit plus demander