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des montagnes dont l’escarpement semblait avoir banni à jamais les humains. Je crois vous les présenter ici, Citoyen Général, luttant contre les plus affreux périls, dans une attitude nouvelle ; et je les crois bien dignes des regards de la postérité, lorsqu’ils sont ainsi suspendus entre le ciel et le plus effroyable, abîme, par l’unique espoir de vaincre, par l’unique envie de vous obéir.

Si quelque chose peut aider à concevoir, quel a été le péril des hommes, c’est le sort des chiens. Cinq seulement suivaient la colonne. L’amour de leurs maîtres ne leur a pas permis, ici plus qu’ailleurs, de s’en séparer ; car la nature a aussi sa discipline qui semble prescrire à certains animaux d’aimer plus leur devoir que leur conservation. Les chiens donc, ces animaux dont l’histoire offre tant d’actions de morale et de courage plus ou moins touchantes, les chiens, après avoir vu partir leurs maîtres pour placer leurs pieds dans les trous où des pieds d’hommes seulement pouvaient entrer : après les avoir vus se suspendre à la corde que des mains d’hommes seules pouvaient encore saisir, les cinq chiens enfin se précipitent dans le gouffre comme d’un commun accord. Trois sont à l’instant entraînés pour jamais dans les flots du torrent qui infestait le fond du précipice : mais deux sont assez vigoureux pour lutter contre le torrent, pour se tirer de ces eaux écumantes, pour triompher aussi des roches à pic qui les séparaient du chemin redevenu praticable, pour arriver enfin, moins mouillés encore que meurtris, jusqu’aux pieds de leurs maîtres. J’aime à penser qu’ils leur sont devenus bien chers.

Je reviens à nos combattans. Il est tems de vous rappeler, Citoyen Général, que c’étaient des détachemens de la 102ème et de la 44ème demi-brigade, auxquels se joignaient quelques compagnies de l’infanterie helvétienne.