Page:Wharton - Les Metteurs en scène, 1909.djvu/242

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et en deuil. De sa seconde femme le comte avait un enfant de mon âge, le comte Andrea, beau comme un saint Georges, mais moins bon que les autres. À cause de son plus jeune âge, il n’était sans doute pas à même de comprendre aussi bien que son frère et sa sœur pourquoi un fils de paysan, sans aucune éducation, avait été amené à la table de son père, et les deux aînés avaient si peur de me blesser que, sans les taquineries d’Andrea, je n’aurais jamais corrigé mes manières vulgaires, ou appris à me tenir en présence de mes supérieurs. Le comte Andrea ne me ménageait pas ses agaceries, et le comte Roberto, malgré sa faiblesse native, savait châtier sévèrement son frère lorsqu’il pensait que la leçon avait été trop rude ; mais il me semblait pour ma part assez naturel qu’un être tellement supérieur jouât le maître vis-à-vis d’un ver de terre comme moi.

Je ne m’attarderai pas sur les débuts de cette nouvelle existence, car c’est plutôt à sa fin qu’a trait mon récit. Je voudrais cependant que vous vous rendissiez compte de ce que ce changement de vie put être pour moi. Pensez donc ce que dut ressentir le jeune paysan que j’étais, en quittant un travail pénible, agrémenté de coups, et abandonnant une cabane délabrée de montagne, pour entrer dans une belle maison, pleine