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ESCALADES DANS LES ALPES.

asseoir dessus. La nuit venue, nous nous en servîmes comme d’une couverture, et nous rendîmes notre installation aussi confortable que les circonstances voulurent bien le permettre. Le silence était si profond qu’il causait une grande impression. Aucun être vivant ne se trouvait auprès de notre bivouac solitaire Les Carrels étaient revenus sur leurs pas et nous ne pouvions plus les entendre ; les avalanches de pierres avaient cessé de tomber, et l’eau de couler même goutte à goutte. Le froid était très-vif ; l’eau gelait dans une bouteille placée sous ma tête. Quoi d’étonnant ? nous étions couchés sur la neige, dans un endroit exposé à tous les vents. Cependant nous nous assoupîmes pendant quelque temps, mais vers minuit une explosion épouvantable se fit entendre à une grande hauteur au-dessus de notre campement. Une seconde de calme terrible la suivit. Une énorme masse de rochers détachée de la montagne descendait vers nous. Mon guide se leva en sursaut et s’écria les mains jointes : « Ô mon Dieu ! nous sommes perdus ! » Nous entendions les blocs de cette avalanche tomber l’un après l’autre par-dessus les précipices, bondissant et rebondissant de terrasse en terrasse ; les plus rapprochés s’entrechoquaient avec un fracas étourdissant dans leur chute. Ils semblaient être tout près de nous, bien qu’ils en fussent probablement éloignés ; mais quelques petits fragments qui au même moment glissèrent sur nous des saillies situées au-dessus de notre tête augmentèrent nos alarmes, et mon compagnon, démoralisé, passa le reste de la nuit à trembler et à marmotter des exclamations, parmi lesquelles revenaient souvent le mot « terrible » et d’autres adjectifs.

Dès l’aube nous étions en marche pour commencer l’ascension de l’arête du sud-ouest. Il ne s’agissait plus de flâner les mains dans les poches ; il nous fallait conquérir chaque pas en avant en grimpant à pic ; mais c’était le mode d’escalade le plus agréable ; les rochers très-solides n’étaient pas encombrés de débris, les fissures étaient nettes, quoique peu nombreuses, et il n’y avait rien à craindre que de soi-même. Telle fut au moins notre opinion, et nous nous mîmes à crier pour éveiller les